Le changement un regard sur soi
Au sortir d’un profond sommeil, l’individu s’avance hagard dans sa cité. Groggy par une léthargie intemporelle, il déambule dans les rues où il réimprime son empreinte érodée par une longue absence. Dans ce cadre oublié, l’individu fait défiler son histoire de vie aux images passées d’où émerge une identité de parvenu marquée d’impudeur et de trahison .
Aujourd’hui, l’individu est mu par une nouvelle conscience réflexive qui le renvoie à soi, à l’autre. Il parsème ses pensées dans les méandres de ces lieux qu’il explorait autrefois et dans lesquels son esprit se réfractait, l’instantanéité d’un moment qui révèle une ontologie de la vie.
Ces endroits si familiers jadis, évoque aujourd’hui à l’individu des schèmes qui l’éloignent d’une existence futile. Tant d’habitudes de vie soustraites au jugement des autres à construire une vie complaisante, affranchie et irrémédiablement solitaire.
Apparait aujourd’hui un halo d’humanisme qui éclaire l’individu, une lueur qui le guide vers un voyage intérieur où les choses simples qui s’offrent à lui nourrissent une avidité altruiste, débonnaire et solidaire.
L’habituation sensorielle qui naguère donnait une signification singulière aux objets et aux lieux d’un quotidien passé, se traduit à présent par une perception réordonnée. Les objets qui incarnaient une vie assouvie par une croyance commune d’abondance de biens et de réussites professionnelles s’effacent à l’orée d’une raison salvatrice. Que de chemins parcourus pour l’individu qui cherchait sa justification dans la convoitise et à accomplir des desseins personnels dictés par la société. Cela le menait à jouer un rôle absurde, à l’apparence qui ne lui seyait guère, et pourtant qu’il s’efforçait à personnifier malgré la dramaturgie de la scène.
A présent la réalité a changé de prisme. Le réel a fait tomber le masque. Le visage d’autrui révèle une profondeur et une authenticité qui émeuvent l’individu. Tant de doutes, tant de craintes qui se dissipent pour une certitude d’une existence plus sincère et délestée des illusions d’antan. L’individu marche d’un pas lent assuré dans les dédales de rues, où les échos de la ville se répandent à faire vibrer son corps. Les sons mêlés aux voix créent un charivari assourdissant qui n’entame aucunement la sérénité de son être et sa liberté d’errer dans la ville.
Impatient et résolu, l’individu s’est construit une vie de désir à s’accomplir dans une « tragédie de l’existence qui réside dans l’individu condamné à produire pour être lui-même ». A présent, il consomme un divorce d’où sourd une vérité qui redessine sa vision plus sujette à la tolérance et la générosité, inspirée par un nouvel esprit moins conquérant et plus humble. Toutefois, un questionnement persiste et retentit en lui, est-ce que ce changement représente une délivrance matérialiste où bien celui d’un drame qui le voue à une éternité dantesque.
Le libre arbitre n’est-il pas un songe qui nous dissocie de la réalité. L’adversité est parfois si insidieuse et terrifiante qu’elle anéantit toute volition de probité et de justice. Quelle est notre force à nous écarter des tentations qui affaiblissent notre esprit et nous disposent à choisir un chemin d’une vie désœuvrée. Le changement est-il le prolongement de l’individu, une hybridation homme objet qui le contraint à succomber aux succubes.
Le changement comporte de nombreux paradoxes, ardemment souhaité pour qui se dit éclairé, il est censé présager des transformations certes imagées qui rendent l’individu apaisé et empressé de vivre sa métamorphose. Ce changement tant convoité et désiré apparait comme un continuum, un dédoublement de soi qui relie l’individu entre un futur présent et un présent passé, une sensation d’être soi et d’incarner déjà l’autre, une dualité qui fragmente la conformation de l’être.
Le changement s’instille sur des intentions, des contradictions ou des sentiments d’incomplétude. Au regard de son origine et sa magnitude, le changement bouscule le quotidien et bouleverse l’être. Une fois présent dans la pensée, il devient lancinant et crée la dépendance ce à quoi l’être tente vainement de se soustraire. Est-ce que l’être peut légitimement rompre l’équilibre d’une vie si durement bâtie sans vision de son devenir ? La contrepartie ne peut se résumer à de l’incertitude. Comment dissoudre la prégnance de ce diktat? Comment éconduire cette régénérescence qui semble inéluctable ? L’être ne peut se résigner à écouter cette voix intérieure, insinuée dans son esprit qui lui impose à se déterminer, à faire, pour être et qui le projette dans l’inconnu.
Le combat n’est pas loyal, le changement oblige à lutter contre soi, un soi qui semble personnifier déjà un autre. L’individu est-il en capacité de résister et de choisir librement sa destinée ou irrévocablement condamné à accepter une voie que lui dicte sa conscience. Que recèle ce désir non intentionnel qui l’entraine sur un chemin sans boussole. Cette crainte de mener une prochaine séquence de vie non consentie, qu’il redoute, sans repère, qui l’aspire irrémédiablement et pour lequel son renoncement est défaillant. Peut-il se considérer résigné jusqu’à être happé et pris dans le tourbillon d’un lendemain empli de doute ? Ne possède-t-il pas cette force répulsive qui anéantit vainement toute emprise sur lui. Après tout, n’est-il pas souverain de ses actes et de ses choix ?
L’individu s’imprègne d’une réalité qui se construit graduellement et par la même qui déconstruit un passé auquel pourtant l’individu s’ancre désespérément. Une telle inertie à vouloir accepter le changement pour le commun des mortels est-il un comportement raisonné ? Pourquoi après tout en accélérer ses conséquences. Ne faudrait-il pas en être la cause au contraire, la main qui ferme la porte du passé et ouvre celle du renouveau, et ce pour mieux en contrôler les effets.
Est-ce que le changement est la résultante d’une transformation volontaire où l’individu mue par un désir irrépressible devient l’autre sans que cet autre ne renvoie les pensées de soi. Se peut-il que le changement soit aussi absolu, qu’il ne subsiste rien d’une vie antérieure. Une guérison totale sans remède qui place l’individu sur une translation héliocentrique d’un barycentre formé par l’autre. Une périhélie permanente pour une orbite autour d’autrui. Un mouvement continu qui crée la relation et l’interaction à l’autre, une systémique qui tend vers l’équilibre.
Le changement impose un sens imaginaire à une vie non encore établie. Le sens que l’on donne au lendemain semble si différent d’aujourd’hui ? Au demeurant, le changement soustrait l’individu à son destin, pour un demain de hasard. Pour autant, rien ne peut réprimer le changement qui n’a de cesse de tarauder la conscience. Ce changement que nous espérons salutaire altère déjà le paysage de notre vie. Nous entrevoyons un avenir certes idéalisé mais pour lequel notre consentement est total. A l’instar, d’un immuable présent qui nourrit tant de désillusions et d’infortunes, le futur semble si éloigné et si proche à la fois, aux tentations si fortes.
Quelles sont les chances de transmuer ? Comment rendre le métaphysique en une finalité physique et concrète ? L’esprit transcende, le corps s’anime et actionne le mouvement d’une volition que rien ne semble freiner. A la situation d’un présent, un avenir qui prétend. Trouver sa justification dans la nécessité de rompre avec le quotidien pour l’individu qui s’accepte. S’efforcer de mouvoir le corps à l’égal de l’esprit, d’harmoniser le mouvement et les pensées de l’individu ? Une translation de soi vers un monde dans lequel vivre l’autre et devenir soi .
Le changement évoque à l’esprit une irrationalité qui trouve sa logique dans un comportement forcené. L’erreur bien que passée réprouve toujours l’intention positive qui rendrait l’individu libre, une damnation de lui-même à suivre un chemin de pénitence sans l’avènement d’une rédemption prochaine.
Au demeurant, se questionner suscite des paradoxes. Comment peut-on s’extirper de cette indécision viscérale, abandonner une vie que l’on juge désespérante et s’exalter pour une vie que l’on imagine plus inspirante. Nul ne peut mieux que soi aboutir à cette révélation de soi.